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Journal de bord : la Montpellier-Barcelone de Tiphaine

Récit par Tiphaine Logiou @tiphaine_log

Jour #1

Montpellier > Fabrezan

216km- 2 424m+- 10h34 de vélo

07h00, nuit chaotique, je suis vraisemblablement stressée. Les dernières semaines ont été denses, je ne me suis pas forcément entrainée comme je l’aurai voulu, mais prendre le départ est un soulagement. Bientôt je saurai si j’en suis capable, bientôt je serai seule avec mon vélo comme meilleur allié pour atteindre le bout de ce voyage.

07h30, je décolle pour me rendre au départ, je commence l’aventure en faisant ma petite « rebelle » en arrivant « en retard ». Le briefing d’avant course était prévu à 06h30, mon sas de départ étant qu’à 8H45, il est hors de question que je reste plus de 2h à piétiner devant mon vélo. Je me connais, la gestion du stress et moi dans un sas de départ ça fait deux, je préfère donc tenter de sauver de précieuses heures de sommeil.  D’autant plus, que depuis la veille, je me sens fébrile, maux de tête, maux de gorge, bref le top avant de partir pour un périple de 760km. J’arrive à 07h45 avec la lueur du jour, je crois que je ne réalise pas vraiment ce qui m’attends et c’est très bien comme ça. Je suis là, étonnement hyper tranquille, je profite du petit déjeuner offert par l’organisation, discute avec les autres participants à se demander comment s’habiller avec cette pluie qui menace.

Photo par Aubin BERTHE – BIDAIA

Puis, 08h45 arrive, l’heure du départ. C’est un départ tout en simplicité, la plupart étant déjà sur la route. On roule en groupe avec une dizaine de Locos pour sortir de la ville, j’aime me dire que les automobilistes que nous croisons n’ont aucune idée du périple poco loco, dans lequel nous nous élançons. J’avoue ne pas beaucoup apprécier cette sortie de Montpellier, beaucoup de giratoires, de feux, d’automobilistes énervés… le Sud quoi ! 😅 Puis, nous entrons dans les terres, une légère pluie se met à tomber dans la montée menant au Lac du Salagou, étonnement cela me transcende. Je découvre que l’Hérault a des airs cachés de Nouvelle-Calédonie, avec ses terres ocres. Le voyage commence ! 🗻

Sur notre parcours, nous croisons des coureurs du trail du Salagou, j’encourage un des participants qui s’est arrêté de courir, il me dit qu’il veut bien qu’on échange nos places, je lui dis « Ok mais il te reste 700km à faire avant d’arriver ». Etonnement, il s’est ravisé et s’est remis à courir.  A 13h00, j’ai mon premier coup de mou, je me mets à m’arrêter souvent, trop souvent. L’objectif de cette première journée est de faire 220km, objectif qui me semblait hyper atteignable, sauf que j’ai complétement sous-estimé le dénivelé de cette première partie de course en me focalisant uniquement sur les cols de Pyrénées. Il est hors de question que dès le premier jour, je ne respecte pas le point d’arrivé que je me suis fixé, alors, je me relance, mange des abricots secs, baisse la tête dans le guidon et j’avance. Je me laisse 04H00 pour faire de mon mieux et récupérer mon retard. Il est 18h00 déjà, le soleil commence à baisser, je n’arrive pas à me résigner à m’arrêter pour trouver un hôtel, obnubilé par le besoin d’avaler des km.

Photo par Sonam

Quand soudain dans un chemin abimé par le temps, je perds la cocote de mon frein, rien de grave, mais je m’arrête pour récupérer la pièce. J’y vois comme un signe du sort : « Tiphaine, arrêtes toi, trouves un endroit où dormir ce soir ». Alors je m’assoie là au milieu de nulle part entre les vignes, au soleil couchant, pour faire le point.  Quelques minutes plus tard, je fais la rencontre de Benjamin qui me demande si ça va, je lui fais part de ma recherche de logement, il est dans la même situation et visait la même ville initialement pour ce soir, on décide de s’entraider et de rouler ensemble pour y arriver.

On passe 2/3 appels, tout est complet, on perd un peu espoir et nous commençons à accepter l’idée de s’arrêter plus tôt pour dormir dans la « grande ville » à une vingtaine de km. Puis, nous sommes rappelés par une maison d’hôte avec plein de chambre disponible à seulement 5km de la trace, tout proche de notre fameux 220e km. Euphorique, on propose à toutes les personnes que nous croisons de se rassembler. C’est comme ça qu’à partir d’une cocotte mal traitée sur un chemin cabossé, a été créé un Poco Loco Gang improvisé de 5 Locos ! 😎😁 Nous arrivons à 22h00 au gîte, une douche bien méritée, une dizaine de minute avec les jambes en l’air et nous nous endormons en discutant de ce qui nous attends le lendemain : les Pyrénées 🏞️

Jour #2 

Fabrezan > Villefranche de Conflant

139km – 2 243m+ – 8h06 de vélo

L’objectif de la journée est d’atteindre la frontière espagnole nichée entre 2 cols soit un programme de 197km (et quelques petits mètres de dénivelés). Il est 04h00 du matin et malgré un sommeil en pointillé, je me sens incapable de suivre Benjamin qui finit par se lever après avoir tourné la majorité de la nuit. Je sentais qu’il ne dormait plus depuis un moment, en effet nos corps semblent perdus entre la nécessité de dormir et la tension trop forte qui nous anime. L’avenir me dira que j’aurais dû le suivre si j’avais voulu atteindre mon objectif de cette seconde journée.

Il est 07h00 quand avec Thomas, Brieg et Julie, nous prenons la route après un petit-déjeuner préparé avec soin par notre hôte. Les premières lueurs du jour perçant la brume épaisse donnent un effet mystique aux paysages qui nous entoure. Très vite, nous arrivons sur une route quelque peu accidentée qui nous pousse à lever le pied, je me rassure en me disant que j’aurais peu apprécié ce tronçon de nuit si j’étais parti plus tôt. Peu à peu les paysages changent, avec des routes sinueuses parmi les falaises, des villages sculptés dans la roche, des cols cachées, puis l’arrivée dans les Georges de Galamus …. Quel spectacle ! A ce moment précis, je me dis que cette trace est vraiment exceptionnelle.

Photo par Sonam

J’ai rarement vu un condensé de merveilles s’enchainer pendant tant de kilomètres.  On en prend pleins les yeux ! On s’accorde une vraie pause et prendre le temps de s’asseoir en terrasse au soleil et profiter de cette merveille géologique. C’est une course certes, mais je ne voulais pas faire la course contre le temps. Après cette pause et sans concertation, notre gang improvisé se sépare pour quelques heures, chacun roule à son rythme pour atteindre le Checkpoint au km 330) Je mettais dit qu’il fallait que j’arrive avant 15h00, pour me lancer dans le premier col (officiel) des Pyrénées, cependant j’avais encore une fois, complétement sous-estimé les quelques petites « bosses » qui se trouvaient encore entre nous. Ainsi, en arrivant avec une heure de retard et après avoir observé dans la descente jusqu’à Marquixanes (soit dit en passant tout simplement exceptionnelle) l’orage s’accrocher sur la chaine des Pyrénées, le doute commence à s’installer. Cependant, en arrivant au checkpoint, j’annonce sûre de moi à Thomas que je me laisse 30min pour m’enfiler le magnifique plat de pâte préparé par amour par Rosa et repartir pour atteindre la frontière avant ce soir. Il est un peu étonné et à ce moment-là, je comprends que ce n’est peut-être pas la meilleure idée.

Photo Jean-Baptiste Delorme

En effet, entre le checkpoint et la frontière espagnole, il y a le col de la LLose sans aucune solution de repli si je n’atteins pas le sommet dans les temps. Il fait nuit dans 2h30, j’ai 50km à faire, plus de 1 900m de D+, l’orage menace et je ne suis pas équipée pour dormir dehors … C’est seulement à l’arrivée de Bireg et Julie que je m’assagie et que nous décidons de rester ensemble une nuit de plus. Toutefois, j’insiste pour que nous poussions encore de quelques kilomètres avant de trouver un gîte. Je veux absolument me rapprocher au plus près du pied du col. Il est alors à peine 19h00 quand nous arrêtons à Villefranche. Nous mangeons les quiches que nous avions acheté le matin qui ont passé toute la journée à être balader sur nos sacoches, mais comme quoi il faut toujours avoir un encas de secours. Cette journée se fini tôt, « bloquée » aux portes des Pyrénées. Déçue de ne pas respecter mon plan, je sais que demain, il faudra passer cette « petite » chaîne de montagne en une seule et même journée. En suis-je capable ? C’est la question que je me pose avant de sombrer.

Jour #3

Villefranche de Conflant > Olot

161 km – 3 112m+ – 9h21 de vélo

Aujourd’hui, au menu, en guise de plat principal les 2 cols des Pyrénées, et on avisera d’où on prend le désert. En effet, cette fois-ci, je préfère ne pas me fixer un point de chute précis pour le soir, je ne veux pas être déçue car je n’ai aucune idée de comment je vais digérer le dénivelé qui m’attends.

Il est 05h30 quand mon réveil sonne, initialement j’étais la seule à viser un départ si tôt malgré mon appréhension de repartir sur la route nationale très fréquentée menant en Andorre. C’était sans compter la solidarité sans faille de notre gang formé le premier jour. C’est alors en cortège clignotant de tout part que nous nous élançons pour affronter le flux de voiture, et de poids lourds. Il fait encore nuit quand nous atteignons Olette, point de départ officiel du col de Llose. Mais avant ça, nous menons un braquage en règle d’une boulangerie, quiche, croquant aux amendes, cookie, flan, …. La boulangère me demande d’où l’on vient et surtout où est-ce que l’on va pour dévaliser sa boutique à cette heure-ci. « Oh mazette, vous avez raison de prendre des forces, vous n’avez pas pris le chemin le plus simple ». Comment une phrase peut-elle si vite faire monter le curseur de l’appréhension ?! 

Les premières lueurs du jour apparaissent enfin et révèlent toute la magie de ce col. La montée suit une corniche en bord de falaise, puis on s’engouffre en forêt quand surgit le village d’Ayguatébia, marquant la moitié de l’ascension. Il est à peine un peu plus de 09h00 quand nous arrivons enfin au sommet du col de la Llose en ayant croisé à peine 3 voitures : magique ! Nous sommes à la fois heureux et moroses, car nous savons que Thomas va rebrousser chemin pour répondre dès le lendemain à des obligations professionnelles. On ne se connait que depuis 24h, mais dans ce genre d’aventure : les heures sont des jours et les galères deviennent des bons souvenirs. C’est donc amputé d’un membre que nous entamons la descente vers la frontière espagnole. En passant devant une école, non loin de Font Romeu, des enfants m’interpellent au loin « Madame, madame, on peut faire la course ? ».

Photo Jean Baptiste Delorme

C’est alors parti pour un sprint en départ arrêté avec une bande de marmot bloqué au bout de 100m par le grillage.  Amusée par ce moment, je me retourne pour leur faire des grands signes d’au revoir. Outre le sacré coup de vieux de me faire appeler Madame, je me revois moi gamine, enfermée comme eux dans la cour d’école, à rêver déjà d’évasion, et de découvertes. Aujourd’hui, la route est à moi, sans barrière, je suis exactement là où je veux être, libre de me livrer dans cette belle aventure.  Je retrouve mon binôme préféré, nous passons une première fois la frontière en entrant dans l’enclave de Llivia, petit village espagnol sur le territoire français, puis nous passons devant le mastodonte solaire de Mont Louis avant de définitivement entrer en Espagne.

Il n’y aucune trace de la frontière, aucun poste de garde ou panneau, mais en une fraction de seconde l’atmosphère change et le dépaysement commence. Ne parlant pas espagnol je comptais sur le fait que les frontaliers parleront surement français mais quenini ! Après une pause déjeuner rapide sur le bord de la route à Puigcerdá, nous entamons le deuxième col de la journée : le Col de Toses. Je me sens en forme, et je me dis que je peux peut-être rattraper mon retard accumulé la veille. D’un commun accord, je laisse Bireg et Julie, et nous nous donnons rendez-vous à Barcelone. Sauf que je rencontre ma première grosse défaillance.  Subitement, je suis pliée en deux sur mon vélo, des crampes au ventre qui me font sévèrement lever le pied. Brieg et Julie me rattrapent et je suis incapable des les suivre.

Le van de l’organisation arrive à ma hauteur et se m’et à me filmer, l’aspiration du van me permet de souffler et d’arriver non sans mal au bout de ce deuxième col. Après une descente splendide et une pause salvatrice, je repars à peu près en forme, mais c’est désormais mon GPS qui fat des siennes. Nous sommes parties tôt ce matin, et je n’ai pas été assez précautionneuse en oubliant de le recharger lors des arrêts. Arrivés sur Ripol, le gang improvisé se sépare définitivement, je décide de pousser jusqu’à Olot, 30km plus loin. En arrivant, j’ai grand faim, je rentre dans une pizzeria à 19h00, mais il est trop tôt, ils n’ouvrent qu’à 20h00. Je m’assoie dépitée devant sur le trottoir, je n’ai pas assez d’énergie pour chercher autre chose. Au bout de 10min, je dois leur faire de la peine et ils viennent me chercher pour me dire « entrada, te prepararemos para comer ».  Mercii !! Je m’endors en rêvant secrètement d’atteindre Barcelone le lendemain, 250 km to gooo !

Jour #4   

Olot > Banlieue de Barcelone

191 km– 2 310m+ -12h30 de vélo

Ce matin, je ne veux pas me lever …. Je n’ai pas bien dormi, ballotée entre spasmes et sueurs nocturnes. Le corps commence à montrer sérieusement les premiers signaux de fatigue. J’ai d’ailleurs une douleur au genou gauche qui persiste. En même temps, est-ce bien étonnant avec presque 148 000 rotations depuis 3 jours ?  C’est mon premier départ solo depuis le début de la course, moi seule face à la brume persistante, tellement persistante que je vais garder mes lampes allumées jusqu’à 10H30 aujourd’hui. Ce n’est pas si désagréable de se retrouver seule, c’est aussi ce genre de moment que je suis venue chercher ici. J’avance bien, même super bien, et le rêve d’atteindre Barcelone dans la journée se rapproche. Faire du vélo à quelque chose de captivant et accorde une vraie pause à l’esprit. Quand on pédale, notre conscience se focalise sur le fait d’avancer, observer chaque aspérité de la route, analyser les virages, s’hydrater, s’alimenter … A quoi je pense quand je pédale ? La plupart du temps à pas grand-chose et ça fait du bien ! Jusqu’au moment où je reçois un message d’encouragement venant perturber cette médiation active. Ce message que je n’attendais pas, me force à me rappeler le chemin parcouru jusqu’à aujourd’hui. En effet j’ai longtemps été spectatrice et surtout supportrice lors de ce type d’aventure sans avoir l’audace de m’en croire moi-même capable. Il aura fallu une rupture et quelques heures de remise en question pour que j’ai finalement le courage de prendre conscience de mes capacités en m’alignant sur une ligne de départ. On m’a souvent dit qu’avec le temps, on finit par remercier ses exs pour ce qu’ils nous ont apporté. Je ne crois pas que ce soit vraiment eux que l’on remercie mais plutôt nous-même d’avoir réussi à tirer le meilleur de cette situation. Aujourd’hui, je continue à reprendre confiance en moi et ce genre d’aventure est l’un des ingrédients principaux de ce cheminement. L’aventure en guise de cure ! Bon, je vous ai peut-être un peu menti, parfois on mène de profonde introspection sur le vélo.

Après être passée par le village de Santa Pau avec ses magnifiques arches de pierre, j’arrive au Nord de Gérone par une 3*2 voies qui me fait serrer les fesses. Dès que je prends la brettelle de sortie, j’observe tout autour de moi pour trouver un endroit où prendre une boisson chaude et faire baisser le palpitant. Un groupe de cycliste anglais assis m’interroge sur ma sortie. Ils sont stupéfaits et me donnent leurs barres de céréales en guise d’encouragement pour assurer la suite de mon périple. Je suis touchée par ce geste et remercie la richesse des rencontres en leur disant aurevoir. Lorsque je souhaite payer, la gérante du bistrot m’indique que ma note a déjà été réglé par la table d’â côté. Profondément touchée par ce petit geste, je repars avec la banane et le plein d’énergie. Les petites attentions font de grandes choses, merciiii !

En fin de matinée, j’arrive dans le petit village de Sant Marti, ce village est un dédalle de ruelles pavées, je ne comprends rien à la trace. Je tourne en rond, un poil agacé, je décide de m’arrêter. Au moment de mettre le pied à terre, ma cale glisse sur un pavé recouvert de mousse et je perds l’équilibre. Je heurte alors violement le muret de pierre se trouvant à ma droite. Je suis enchevêtrée sous mon vélo et mon premier réflexe est de regarder s’il y a des dégâts sur ma monture.

 A première vue, rien d’inquiétant. En me relavant, je constate que mon poignet me lance, mon coude est éraflé, mon genou saigne … rien de casser donc rien d’insurmontable. Il faut que je sorte de ce labyrinthe avant de devenir folle. De nouveau sur la route, je remarque que mon grand plateau ne passe pas, le dérailleur a dû prendre un coup pendant la chute. Je comprends que je serai difficilement à Barcelone ce soir. Un poil agacé et désormais un chouillat frustrée, je repère un réparateur cycle sur la trace dans 23km qui ferme à 13h00… il me reste un peu moins d’une heure pour y arriver. Après avoir pédalé dans la semoule intensément, j’arrive Casa del la Selva juste à temps. En 5 minutes, mon vélo est remis sur pied, je répare !

Je rentre dans la réserve naturelle du Massís de les Cadiretes, le chemin menant à la mer. J’ai tellement hâte d’arriver sur la côte. Le paysage est magnifique mais je suis ailleurs, je n’arrive plus à prendre mon guidon à deux mains, et je remarque qu’un bleu de la forme d’un pavé grandit minute après minute sur mon genou. J’avais déjà une douleur ce matin et cette chute n’arrange vraiment rien. Je m’autorise à mettre de la musique pour me transporter et penser à autre chose. Je ne le fais jamais sur les routes françaises, je n’aime pas trop la cohabitation avec les voitures et je préfère avoir l’ouïe attentive Mais ici, je suis en pleine confiance. Les automobilistes ralentissent, prennent le temps d’avoir assez de visibilité pour nous doubler, s’éloigne le plus possible … Bref le paradis !

J’entame la descente, une magnifique descente jusqu’à la mer. Il est 15h00, je réalise que je n’ai que très peu manger depuis ce matin, erreur fatale ! Je boulote rapidement les barres offertes par les Anglais en me promettant de m’arrêter dans pas longtemps. Il reste 130km, facile ! Je suis au niveau de la mer, Barcelone étant en bord de mer, ça devrait être plat. Sauf que non, il reste 1700m de D+. C’est une succession sans fin de sacré coup de cul, et de descentes dans des stations balnéaires. Je n’aime pas ça ! Il y a du monde, trop de monde, je continue en me disant que le prochain « village » sera mieux. Le vent était censé être de dos mais j’ai l’impression d’être dans une vraie machine à laver.  A 17H00, mon corps dit STOP, il faut que je mange, cette fois-ci je l’écoute mais trop tard. Avoir sous-estimé le dénivelé et ma nutrition sera fatale pour cette fin de journée.

La nuit tombe, il me reste 90km, je reçois plein de message des gens qui me suivent car ils comprennent que je lance mes dernières forces pour atteindre l’arrivée ce soir. Puis, je me fais peur dans une descente, je suis persuadée d’avoir vu un sanglier passé juste devant moi. Il y a déjà eu des accidents en tête de course, je ne suis pas sûre de m’en sortir aussi bien qu’eux en cas de choc. D’ailleurs si je ne roule pas de nuit, ce n’est pas parce que je suis une fille et que j’ai peur de rencontrer une personne mal intentionnée, j’ai peur des animaux et j’ose espérer qu’ils ne font pas la différence de qui se trouve sur le vélo avant de se décider de traverser.  Il est 20h00, il fait nuit noire, je ne suis pas rassurée, si je continue à ce rythme je n’arriverai pas avant 03h00 du matin. Je m’effondre car je réalise que je ne suis pas en état de finir dans de bonne condition cette journée. J’appelle ma sœur et elle me dit ce que j’avais besoin d’entendre. Il faut mieux arriver entière que de ne jamais arriver. Après tout ce n’est pas une course et comme ça j’offre à l’organisation leur première nuit sans arriver depuis le début de la semaine.  

Après avoir séchée mes larmes, je me retrouve par hasard dans le même hôtel que le binôme des Bord’Eure Collie qui eux aussi décident de s’arrêter à Mataro à 70km de l’arrivée. C’est alors une douce soirée d’échange qui me met du baume au cœur. A demain Barcelone !

Jour #5   

Mataro > Barcelone ¡!   

71 km– 998 m+ -03h51 de vélo

06H20 : cette fois c’est le dernier réveil ! En allumant mon téléphone, je reçois une vague d’amour et d’encouragement qui me remplit d’énergie et de bonne humeur. Je crois que me montrer la veille en story avec les larmes aux yeux, déçue et fatiguée, n’a pas rassuré mes proches. Mais c’est aussi ça l’aventure, un condensé de sentiments et parfois un trop plein d’émotions. Reboostée et décidée à profiter jusqu’au dernier km de cette aventure, je renfourche mon vélo pour terminer ce périple le jour de la fête nationale espagnole.

A vol d’oiseau, je suis à moins de 20km de l’arrivée mais c’était sans compter la fourberie de l’organisation, on repart dans les terres. C’est alors une nouvelle succession de coup de cul qui cassent les jambes, mais avec le lever du soleil, c’est toujours plus agréable. Je réalise que j’aurais eu beaucoup de mal à faire ce dernier petit bout hier soir. Il n’y a que «70 » bornes mais je tente de ne pas refaire les erreurs de la veille et je m’alimente régulièrement. Ça y est, je suis dans la dernière montée de ce périple, à faire face aux dernières souffrances de cette balade, à livrer les derniers forces pour aller au bout de l’aventure. J’arrive au sommet du Tibidabo offrant une vue exceptionnelle sur Barcelone. Barcelone enfin ! L’ambiance est futuriste car perché en haut de cette colline se cache un parc d’attraction. Je me retrouve prise dans un bal de cycliste qui vont et viennent. Je reste un moment là à profiter du moment, je réalise que je l’ai fait, je suis à Barcelone !!

J’entame la descente, la dernière aussi, les larmes se mettent à monter, je suis submergée par mes émotions. Ma vue se brouille, je respire profondément, et remercie mon corps et ma détermination de m’avoir emmenée jusqu’ici. J’ai l’impression de voler, cette sensation est tellement plaisante, je crois que je me suis rarement sentie autant en vie !

Arrivée dans le souk de la circulation barcelonnaise, je suis forcée de faire baisser mon excitation pour me reconcentrer sur ce qui m’entoure. Il reste 15km à travers la ville, 15km que je ne vais pas vraiment porter dans mon cœur. Revenir à la civilisation, c’est violent parfois ! Mon GPS m’indique que je suis arrivée alors que pas du tout, je suis perdue dans ce capharnaüm de giratoires, de feux,  je m’agace, peste d’être complétement paumée à quelques kilomètres de l’arrivée. Et là, je reçois un vocal de ma maman, son premier vocal je crois, elle me félicite, je sens l’émotion dans sa voix, je suis sa championne et ça n’a pas de prix. Aux alentours de 11H00, je finirai par arrivée au Eroïca Café, arrivée officielle de cette aventure. Il n’y a pas de tapis rouge, d’arche ou de podium sur ce type de course, l’arrivée se fait en toute simplicité et sobriété à l’image du chemin parcouru. Je suis accueillie par les aventuriers arrivés avant moi. Je vais m’asseoir à leur côté en terrasse et je vais rester près de 4h dans cette ambiance suspendue par le temps où tu partages ce que tu viens de vivre, tu refais le match en racontant tes mésaventures qui ont fait que tu as vécu une magnifique aventure. C’est avec cette bande de Loco que l’histoire va se poursuive quelques jours sur Barcelone. Quelques jours, où on va arpenter la ville (à vélo biensûr), à manger 5 fois par jour, à grignoter tous les 2h, à goûter toutes les bières de l’Eroïca (ses cocktails aussi), à dépouiller les Camomilles du Bed&Bike pour accompagner nos conversations nocturnes, bref à vivre. La Poco Loco, c’est ça, une faille spatio-temporelle qui te ramène aux fondamentaux de la vie. La Poco Loco, c’est des rires, des larmes, des paysages et des rencontres.

Au moment où j’écris ces mots, je ne réalise toujours pas ce que j’ai accompli. Il est difficile de dire ce qui nous pousse à se lancer sur ce genre d’épreuve, mais je me remercie d’avoir osée, d’avoir été capable de relever ce défi.  Merci à la PocoLoco team d’avoir pensé et crée cet événement unique. Merci à tous les compagnons d’aventure pour ce condensé de vie. Merci à mon petit corps de me permettre de faire cela. Et surtout, 1 000 Mercis à tous ceux qui ont toujours cru en moi et qui était avec moi à chaque coup de pédale.

Photo Jean Baptiste Delorme

11 commentaires

  1. Passionnant ! C’est un réel plaisir de revivre l’aventure une deuxième fois à travers tes yeux et tes mots. Merci d’avoir pris le temps d’écrire.

    1. Merci d’avoir pris le temps de le lire, je n’aurais pas cru que cela parle à autant de monde, c’est super chouette ! 😊

  2. Bravo à toi Tiphaine ! Bravo pour ton courage et ton abnégation.
    Beaucoup d’entre nous se reconnaîtront dans ton témoignage.
    C’est mon cas quand tu écris : »les difficultés me transcendent », « la brume épaisse donne un effet mystique aux paysages », quand tu refuses « la course contre le temps », quand tu parles « d’introspection sur le vélo », de la recherche d’une » confiance en soi « , d’une »aventure en guise de cure », de « trop plein d’émotions », de ne s’être « rarement sentie aussi en vie », et aussi « le souk de la circulation »,  » les fondamentaux de la vie », etc…
    J’ai roulé 8 jours et demi sur la 1700 et je n’ai rencontré aucun participant. Rouler seul comporte quelques avantages mais c’est aussi un peu frustrant, c’est pourquoi je suis content de me « relier » aux autres à travers leurs récits.
    Merci encore et je te souhaite pleins de belles aventures comme celle ci !
    Jean Gautier

    1. Bravo à toi pour ton périple de 1700km ! 🙌 Nous n’étions pas avec toi physiquement, mais nous avions une tendre pensée pour toi chaque jour depuis Barcelone. A très vite sur une prochaine aventure 😉

  3. Super pour cette première expérience, tu as réussi, ton récit est super et me donne envie d’y aller.
    J’ai fait beaucoup de raid multisports, de trails, de courses, mais après quelques années d’interruption (l’age aidant), je me suis inscrite sur la 727 dans le Languedoc Roussillon mais en VTT. Je ne me suis pas encore mise au gravel, mais j’y compte.
    Encore Bravo

  4. Merci beaucoup Tiphaine pour ce récit qui fait envie de prendre la route, et bravo a toi pour t’être lancé … C’est souvent ce premier pas qui change une vie…

  5. Bravo et merci pour le partage.
    Quand je te lis ça me rassure sur l’aventure que je vais sûrement vivre sur la Dijon-Stuttgart ! C’est ça que je viens chercher et ton récit donne trop envie de se lancer!

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